vendredi 20 janvier 2017

"Les Sorcières de la République" : un roman féministe, satirique et engagé très original qui mélange les formes littéraires et les époques.

En voici un livre original, tant sur le fond que sur la forme! Pour se lancer dans sa lecture, il faut s'accrocher car le style est un peu déroutant au début. Mais être coincée 4 heures dans un avion sans autre distraction m'a finalement permis de m'y plonger et c'est sans regrets car cela m'a permis de découvrir un roman expérimental, fort bien documenté et très intéressant.

Les sorcières de la République, c'est à la fois un roman de science-fiction ancré dans notre actualité, une fable mythologique futuriste, une critique de la société française actuelle, un pamphlet féministe et un livre révolutionnaire à tendance philosophique, le tout écrit avec beaucoup d'humour et d'ironie ! Bref un joyeux mélange de styles.



L'histoire : 

On est en France en 2062. Un procès s'ouvre devant des milliers de personnes dans ce qui était auparavant le Stade de France et est dorénavant un gigantesque tribunal. Ce procès, c'est celui de la Sibylle, prophétesse des temps modernes, accusée d'avoir contribué à une amnésie collective en 2020 nommée le "Grand Blanc". A cette époque, les déesses grecques étaient descendues de l'Olympe pour se mêler à la population française et organiser une prise de pouvoir des femmes. Pour cela, les déesses ont d'abord créé le Parti du Cercle, à la fois groupe féministe de réflexion et parti à dimension philosophique et ésotérique, avant de préparer les élections présidentielles de 2017. Mais la prophétie de la Sibylle et la révolution féministe tant attendue ont échoué. Alors, comment une amnésie collective sur plusieurs années a-t'elle pu avoir lieu ? De quoi est accusée vraiment la Sibylle?

En 2062, la société est de nouveau superficielle, les idéaux oubliés, le réchauffement climatique est la cause de tous mes maux, certains pays ont disparu et les migrations climatiques sont nombreuses. Le président de la République est tiré au sort, la publicité omniprésente tout comme les réseaux sociaux.
Les citoyens veulent lever le voile sur un aspect de l'Histoire de France, le Grand Blanc de 2020, qui traumatisa une grande partie de la population. C'est pourquoi a lieu le jugement de la seule protagoniste encore vivante : la Sibylle. C'est en décrivant ses pensées, en relatant son histoire et son procès que se construit le roman. Le récit se fait à travers des formes très variées avec toujours une bonne dose d'humour grinçant et de cynisme.

Un récit futuriste ancré dans la réalité

Pour résumer : des figures de la mythologie grecque sont jugées dans le futur pour faire le point sur une période du passé de la société française qui est actuellement notre présent. Vous suivez ? Non? Ce n'est pas grave, on finit par se laisser embarquer par cette histoire rocambolesque.

Certes, c'est un récit futuriste mais qui est très ancré dans la réalité : les allusions à la politique française actuelle sont nombreuses, (même le coup du petit pain au chocolat de J-F Coppé y est !) de même que certains faits de société comme les dérives de la mondialisation, des médias, de la société du spectacle. Mais le sujet phare de ce livre est bien sûr la place des femmes dans la société, l'utopie d'une révolution féministe dans une société "phallique", l'ambition de développer la sororité (l'expression de la solidarité entre femmes. voir définition ici) au point d'en faire la devise de cette nouvelle République : "liberté, égalité, sororité".
En parallèle, on suit l'origine et l'histoire des déesses de l'Olympe qui, après des millénaires d'oppression masculine, ont décidé de se rebeller, de descendre sur Terre, de trouver un pays où se fondre dans la masse et où organiser une révolution féministe.

Un livre satirique et révolutionnaire

Les sorcières de la République dresse une satire de notre société hyper-connectée et de l'omniprésence des réseaux sociaux. Le déroulement du procès de la Sibylle est un véritable show, un "spectacle" surmédiatisé, présenté sous forme de télé-réalité : à chaque pause, la chaine de télévision nationale propose de participer à des jeux absurdes en vue de gagner des points de sommeil ou des visites chez le dentiste ! De plus, des caméras filment l'accusée 24 h sur 24 h même dans les moments intimes et difficiles, sans notion aucune de l'indécence.

Ce livre permet également une re-découverte des dieux, déesses, muses de la mythologie grecque, de l'origine avec Gaïa jusqu'à la prophétesse Sibylle. Des femmes qui passent toujours au second plan et doivent se battre pour faire valoir leurs droits, et ce, même chez les déesses ! Ce roman est super bien documenté, avec plein de références à l'histoire, à la mythologie, à l'actualité...
D'ailleurs, à propos du "Grand Blanc", c’est un événement qui se serait passé en Grèce, vers 3080 avant J-C où, après une guerre civile vraiment affreuse, le nouveau gouvernement interdit aux gens d’y faire allusion.

Une performance littéraire

Certains passages du roman sont vraiment ardus et j'ai survolé quelques pages plus que d'autres. Le mélange des styles est aussi stimulant que déroutant. C'est vraiment un livre non conventionnel où se mêlent l'écriture romanesque, le théâtre, la poésie, la satire et le pamphlet, mélangeant politique actuelle, débat féministe et mythologie grecque. Ainsi, au gré des chapitres, on lit des dialogues de tragédie grecque, des textes prophétiques, de la poésie, une chronique journalistique, des échanges de mails, des "live" du procès, des programmes de la chaîne Canal National, des "VDM" de sorcières, des textes de lois... Par exemple, j'ai bien ri en lisant un échange de mails hilarants entre Arthémis et Jésus-Christ qui, malgré leurs divergences, se trouvent de nombreux points communs et n'en peuvent plus de devoir s'occuper de ses humains qui ne font rien comme prévu! (voir un extrait dans les citations plus bas).

Les sorcières de la République  est un livre superbement bien écrit et bien construit, intelligent, déconcertant, engagé. Le mélange des genres, des époques et des sujets abordés en fait une véritable performance littéraire. Une bonne surprise de la rentrée littéraire 2016 !

A propos de l'auteure :
Chloé Delaume (pseudonyme) est une écrivain et éditrice française. Elle a écrit ce livre en 3 ans. "Elle définit elle-même son entreprise littéraire comme une « politique de révolution du Je » dont la volonté interne serait de « refuser les fables qui saturent le réel, les fictions collectives, familiales, culturelles, religieuses, institutionnelles, sociales, économiques, politiques et médiatiques. »


Quelques citations :

LIVE du procès :
"Nous sommes le 6 février 2062, l'Apocalypse n'a pas eu lieu, la Terre compte à ce jour dix milliards d'êtres humains. La température extérieure est de 35 degrés Celsius. Elle s'infiltre sous le dôme malgré tous les efforts de climatisation." p. 24

Récit de la Sibylle :

"J'ai sauvé le monde de l'Apocalypse contre ma volonté. Si j'ai participé ensuite, ce n'était qu'en tant que consultante. Nous avons pris le pouvoir en France, mais de manière démocratique. Nous avons travaillé à cela durant cinq ans. Objectifs, plans, plannings. Evènements à venir, catastrophes à dévier. Agir, faire advenir. Utiliser, anticiper, je fournissais les informations. Profession : prophétesse, et bientôt directrice du centre de formation." p. 25

"Le premier cercle, le Parti du Cercle, les Sorcières de la République. Les voeux des femmes françaises parfaitement exaucés, Le Nouveau Commencement et ses enseignements. Liberté, Parité, Sororité." p 26

"Mon secret, je ne sais pas. J'aimerai sincèrement vous répondre autre chose que : Je suis l'Elue, choisie entre toutes pour être immortelle, conseillère des déesses au teint de rose, prophétesse à jamais vêtue en taille 36, préservée des tumeurs autant que des vergetures. J'ai conscience d'être privilégiée. Cela étant, oui, je m'entretiens. Mais vous savez, je n'ai pas le choix. J'ai deux mille neuf cent treize ans, si le coup du kilo de fin d'année, passée la quarantaine, je l'avais laissé s'installer, c'est pas en fourgon blindée mais en grue qu'on m'aurait déplacée ici." p 61

"En 2013, le Bangladesh était le septième pays le plus peuplé au monde. 152 518 015 habitants. La crise écologique mondiale, les catastrophes économiques, l'épuisement des ressources humaines. Aujourd'hui, le Bangladesh n'existe plus, et à peine dix pour cent de sa population a eu le temps de migrer avant que la mer ne reprenne ses droits." p 142

"Il fallait un pays où la foi fût une blessure, la déception une habitude, la notion d'avenir une boutade. Un pays en attente d'un miracle politique, qui était prêt à croire en la magie de "Dire, c'est faire". Nous étions attendues, secrètement, en terre de France. Un pays de bonne volonté, mais qui rechigne aux sacrifices et est expert en grommellements. Un pays qui, depuis qu'existent les statistiques, se distingue par sa consommation élevée d'antidépresseurs, de vin, de banderoles, de fromages, d'escarpins et de viande porcine." p. 182

"Les partis politiques s'appropriaient les mots pour les vampiriser, mais même le dictionnaire était déjà exsangue. Rien à tirer de rien, plus personne ne veut jouer une fois que les caisses sont vides et les dés trop pipés n'attirent que l'abstention. Se projeter devenait difficile.[...] Les esprits et les coeurs, tout se recroquevillait. L'hédonisme sécuritaire en son doux costume brun séduisait les Français. Qui sur d'autres questions s'avéraient plus lucides." p 188

"Elle est la vie, elle est vivante. Gaïa, terre. Elle se peuple peu à peu, elle s'unit à son fils [...] Pour premières naissances : les Titans, les Titanides et les Cyclopes. L'accouchement des Hécatonchires, triplés, cinquante têtes et cent bras chacun, se déroule sur soixante-sept heures et sans la moindre péridurale. Gaïa est courageuse. Gaïa est la Terre-Mère." p 261

"Elisabeth Ambrose, 59 % des voix. L'abstention a été infime, les femmes et leurs alliés ont sauté hors des chapines. C'est le patriarcat, la répulbique des hommes, les valeurs dominantes qui ont été rejetés. Vous connaissé l'adage : on vote pour, parce que contre." p 308

"Qu'est-ce que le désespoir? Je vous le demande à tous. Posez-vous la question, vous ne serez pas les premiers. Rester poli, même quand on pleure chaque jour au coucher du soleil? Le fondement de tout bonheur, un aiguillon sécurisant ou un ultimatum à Dieu?" p 312

"L'histoire ne s'abîme pas toute seule. Une utopie, un parti pris, un cercle, des femmes enfin unies, le partage des pouvoirs, la fin du plafond de verre; courte-échelle, les frangines, renvoyez l'ascenseur. C'était ça le scénario. Un entrechat de coté. Scénographie sociale, sorcières républicaines, sororité chorale, cérémonies, rituels, l'unité nationale festoyant aux fêtes païennes. Le ballet était gracieux, les équinoxes sacrés ; mais à trop d'arabesques, on risque la foulure." p 325

Extrait d'un échange de mails entre artémis.delolympe@gmail.fr et jesus-christ.superstar@royaumedescieux.org  :

"[...] Mais je peux t'assurer que l'Apocalypse n'a pas eu lieu, même si c'est tellement le bordel que ton daron ne s'en aperçoit même pas. Les gens souffrent comme jamais et Déméter l'a vu : la planète agonise, partout ça pue la mort. Tu es revenu pour rien, personne ne te reconnaît, ne te croit, ne t'écoute. Et tu n'as aucun Juste, tu le vois bien, à sauver. Au fond de toi, tu le sais. Il n'y aura pas d'Apocalypse. Le plan de Dieu, c'est finito. Ça fait des siècles que t'attends ça, que tu te sacrifies pour le bien de l'entreprise paternelle et que tu refoules tes envies de carrière, tes rêves à toi." p. 163

Extraits de la nouvelle constitution :

"Article Premier. La France est une République indivisible, laïque, démocratique, paritaire et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction biologique, ainsi que la protection et la libre circulation de tout corps vivant sur son territoire. Elle respecte toutes les croyances, à condition que celles-ci ne soient par organisées en faveur du phallocentrisme. Elle respecte également les femmes qui ont des règles douloureuses, en leur accordant un congé menstruel." p 316

"Article 2. La langue de la République est le français. Contrairement à la langue de LOL, patois postnumérique pratiqué sur l'ensemble du territoire, la langue française rpéond à des normes orthographiques et grammaticales précises, évolutives mais obligatoires. Sa forme écrite utilise l'alphabet latin, des signe diacritiques, des ligatures; mais nullement les émoticônes ou les GIF animés." p 317



1 commentaire:

  1. Ces éloges me dépassent. Le mélange des genres et des temps historiques n'a rien d'original, ni la vulgarité (très très à la mode) certes le roman est féministe et critique envers la société de consommation et dénonce le changement climatique, mais c'est d'un ennui phénoménal ! on se perd dans des récits digressifs, on perd le fil. L'écriture est trop simple, vide aucune créativité.
    Je regrette d'avoir acheté ce livre

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