mardi 11 octobre 2016

"Chanson douce" : dans la tête d'une nounou tueuse. Un roman captivant et effrayant

Voici un des best-seller de cette rentrée littéraire, Chanson douce de la jeune et talentueuse auteur Leïla Slimani.
Dès les premières lignes, on est saisi d'effroi : deux jeunes enfants sont retrouvés morts au domicile de leurs parents et leur nounou a tenté de se suicider. Mais qu'a t'il donc bien pu se passer dans la tête de cette femme décrite comme très douce et professionnelle? Comment peut-on faire du mal à des enfants? C'est ce que va tenter d'expliquer l'auteur durant les deux-cents pages suivantes. De manière tout-a-fait captivante, elle va raconter le quotidien de ce jeune couple et de cette nounou particulière, nous plongeant dans leur intimité, partageant leurs plus sombres pensées, semant tout au long du roman divers indices qui amenèrent au drame. Bien que l'on connaisse l'issue dramatique de l'histoire dès le début, on est captivé par ce récit qui nous pousse à comprendre les causes d'un tel geste.


L'histoire :

Myriam et Paul sont un jeune couple déjà parents de deux enfants en bas âge. Myriam, qui rêvait de devenir une brillante avocate, a laissé de coté son parcours professionnel pour élever ses enfants et déprime dorénavant à rester à la maison en tant que femme au foyer. Un jour, elle croise un ancien camarade de promo qui lui propose de reprendre le barreau au sein de son cabinet d'avocats. Elle est surexcitée par cette proposition, mais son conjoint est par contre beaucoup plus réticent. Tous deux appréhendent en effet de laisser leurs enfants sous la responsabilité d'une autre personne. Ils se mettent cependant en quête d'une nourrice et, après plusieurs entretiens, tombent sur la perle rare. Elle s'appelle Louise, petite blonde frêle dans la quarantaine à la fois douce et forte, super efficace, patiente, organisée et appréciée des enfants. Pas de doute, ce sera elle!

Dès les premiers jours, Louise sort de son rôle de nounou pour s'occuper du rangement, du ménage, du linge, préparer de bons petits plats... elle se montre vite indispensable au couple qui finit par se reposer entièrement sur elle. C'est un véritable soulagement pour Myriam et Paul qui peuvent se consacrer entièrement à leurs carrières professionnelles, recommencer à sortir, à profiter de la vie, sans avoir à s'occuper de l'entretien de leur appartement ni de leurs enfants qu'ils voient d'ailleurs de moins en moins...
Mais, progressivement la présence de Louise se fait de plus en plus oppressante, voir menaçante. Elle ne vit que pour son travail, pour cette famille dont elle s'occupe, au point de ne plus supporter d'être séparée d'eux. Et un retour en arrière semble quasiment impossible pour ce jeune couple tiraillé entre confort, ambition et culpabilité.
Au gré des pages, on constate des fêlures dans la carapace de cette bonne fée et l'auteur décrit brillamment les mécanismes psychiques qui vont l'amener à commettre l'irréparable.  Alternant les pensées de Louise, de Myriam et de Paul, ainsi que celles de quelques personnes de leur entourage, décortiquant la psychologie de ses personnages, Leila Slimani raconte avec beaucoup de justesse et sans parti pris les circonstances qui ont précédé le drame.

Chanson douce est un roman qui interroge sur nos modes de vie contemporains, notamment la conciliation souvent difficile entre le rôle de parent et l'ambition professionnelle, la volonté de remplir sans cesse nos vies au risque de passer à coté de l'essentiel et de nos proches. Ce roman met le doigt sur différents maux de notre société, comme la solitude et les carences affectives, les différences sociales, les frustrations, les troubles psychologiques, l’indifférence plus ou moins prononcée à l'égard des personnes que l'on côtoie pourtant tous les jours... 
Leila Slimani parvient à montrer à travers de menus faits et gestes quotidiens, de remarques désinvoltes, la montée d'une terrible menace. Avec une écriture sobre, précise, à la fois tendre et désinvolte, directe et crue par moment, poétique et métaphorique à d'autres, elle décrit sans fourniture et avec pudeur le quotidien de petites gens, les méandres psychologiques de ses personnages et nous tient en haleine durant tout le roman.
Elle parvint à faire d'un fait divers sordide un véritable thriller psychologique. Un livre palpitant lu en un week-end, qui laisse toutefois un sentiment de malaise.

Chanson douce / Leïla Slimani . - (NRF) Gallimard, 2016

Citations :

Myriam : "Nous ne serons heureux, se dit-elle alors, que lorsque nous n'aurons plus besoin les uns des autres. Quand nous pourrons vivre une vie à nous, une vie qui nous appartienne, qui ne regarde pas les autres. Quand nous serons libres." p.45

"Louise attend. Elle les regarde comme on étudie l'agonie d'un poisson à peine péché, les ouïes en sang, le corps secoué de convulsions. Le poisson qui frétille sur le sol du bateau, qui tête l'air de sa bouche épuisée, qui n'a aucune chance de s'en sortir." p.50

"Myriam lui promet de reprendre les choses en main. Elle qui est si rigide, si droite, s'en veut de ne pas l'avoir fait avant. Elle va parler à Louise, remettre les choses au clair. Elle est à la fois gênée et secrètement ravie que Louise s'astreigne à de telles tâches ménagères, qu'elle accomplisse ce qu'elle ne lui a jamais demandé." p.61

"Elle [Louise] voudrait les retenir, s'accrocher à eux, gratter de ses ongles le sol en pierre. Elle voudrait les mettre sous cloche, comme deux danseurs figés et souriants, collés au socle d'une boîte de musique. Elle se dit qu'elle pourrait les contempler des heures sans se lasser jamais. Qu'elle se contenterait de les regarder vivre, d'agir dans l'ombre pour que tout soit parfait, que la mécanique jamais ne s'enraie. Elle a l'intime conviction à présent, la conviction brûlante et douloureuse que son bonheur leur appartient. Qu'elle est à eux et qu'ils sont à elle." p 81

"Louise est un soldat. Elle avance, coûte que coûte, comme une bête, comme un chien à qui de méchants enfants auraient briser les pattes." p 91

Wafa: " Tu vois, tout se retourne et tout s'inverse. Son enfance et ma vieillesse. Ma jeunesse et sa vie d'homme. Le destin est vicieux comme un reptile, il s'arrange toujours pour nous pousser du mauvais côté de la rampe." p 117

Paul: "Il imagine son appartement comme un aquarium envahi d'algue pourrissantes, une fosse où l'air ne circulerait plus, où des animaux à la fourrure pelée tourneraient en rond en râlant." p 134

"Ils réagissent comme des enfants gâtés, des chats domestiques". p 135

"Bien sûr, il suffirait d'y mettre fin, de tout arrêter là. Mais Louise a les clés de chez eux, elle sait tout, elle s'est incrustée dans leur vie si profondément qu'elle semble maintenant impossilbe à déloger. Ils la repousseront et elle reviendra." p 175

"Elle [Louise] en pleurerait, de ce regard qu'ils lui lancent parfois, cherchant son approbation ou son aide. [...] Elle voudrait voir avec leurs yeux quand ils regardent quelque chose pour la première fois, quand ils comprennent la logique d'une mécanique, qu'ils en espèrent l'infinie répétition sans jamais penser, à l'avance, à la lassitude qui viendra." p 211

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